Par Jacques Barthélémy, Avocat – Conseil en droit social, Ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier
Il est important de commenter à chaud les quatre arrêts de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 11 février 2015. Cette jurisprudence permet de mettre un terme aux élucubrations, sans fondement, relatives aussi bien à l’acte sanctuarisé qu’aux exigences de transparence s’agissant des conditions de validité de clauses de désignation. Le contenu de ces arrêts n’est pas surprenant eu égard aux rapports de conseillers de la même chambre dans le cadre d’arrêts précédents ayant conduit à des rejets pour non admission du pourvoi en l’absence de motif sérieux (4 juin 2014 et 17 décembre 2014). Le fait qu’il s’agisse ici d’arrêts de cassation est important dans la mesure où cela s’est traduit par une position exprimée à partir d’arguments précis développés dans la décision.
Il est indispensable que les partenaires sociaux s’imprègnent du contenu de ces arrêts dans la mesure où, à partir d’une analyse erronée endroit, ils mettent en œuvre des stratégies sans fondement. Voilà pourquoi il m’est apparu de ma responsabilité (morale), eu égard aux positions que j’exprime depuis toujours et qui sont celles retenues par la cour suprême, de commenter ces arrêts à l’attention des directeurs des groupes d’institutions et des partenaires sociaux. Les lecteurs de cette courte note se réfèreront utilement à mon article, publié dans Droit Social de décembre 2014, intitulé « La survie des clauses de désignation ».
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Les solutions de trois d’entre eux confortent mes analyses (le 4ème n’ayant qu’un intérêt limité) ; celles que j’ai exprimées dans mon article publié dans Droit Social en décembre dernier.
1/ Tout d’abord, le contrat sanctuarisé par le considérant 14 de la décision du conseil constitutionnel du 13 juin 2013 est la convention ou l’accord collectif créant les garanties collectives de prévoyance et contenant la clause de désignation et non le contrat d’assurance.
Cas. Soc. 11 février 2015 AG2R / Pain d’Or et a. Pourvoi n°E.14 13.538, arrêt n°256.55-P+B:«les contrats en cours sont les actes ayant le caractère de convention ou d’accord collectif ayant procédé à la désignation d’organes assureur pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire les actes contractuels régis par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en œuvre effective».
De cet arrêt, il résulte que :
– tant que cet accord n’est pas dénoncé, il continue à produire effet, donc jusqu’à son terme normal. La fin de la période quinquennale en cours est sans effet.
– La clause de désignation est indissociable des garanties elles-mêmes et spécialement des objectifs (la solidarité notamment), qui sont ceux des partenaires sociaux, ayant conduit à la mise en œuvre de la mutualisation. De ce fait, la disparition de la clause affecterait l’économie de la convention.
– Le principe de la clause contenue dans l’accord est à dissocier du choix de l’organisme pour la mettre en œuvre, ce dont il résulte (conséquence logique) que l’absence de décision expresse à l’issue de la période quinquennale doit valoir renouvellement tacite.
– Le fait qu’une entreprise n’ait pas régularisés a situation avant le 1er juin 2013 ne lui permet pas d’invoquer le libre choix de l’assureur parce que ce n’est pas le contrat d’assurance qui est déterminant, encore moins celui avec chaque entreprise.
NB: bien que les attendus de cet arrêt ne traitent que des effets de l’inconstitutionnalité des clauses au sens de la décision des sages du 13 juin 2013, ils confortent mon idée qu’une clause de désignation est encore possible si est mis en œuvre un degré élevé de solidarité, une politique de prévention et une action sociale dès lors que l’on dispose alors d’un but légitime à une atteinte, de ce fait proportionnée, à la liberté contractuelle. Cette thèse me semble être partagée par la Cour de Cassation dès lors que, dans un arrêt de rejet pour refus d’admission pour absence de motif sérieux, le rapport du conseiller Florès faisait état du même raisonnement pour écarter le caractère fondamental de la liberté contractuelle (du salarié) tiré de la Conv EDH.
2/ Ensuite, les partenaires sociaux ne sont pas tenus de mettre en œuvre un appel formalisé à la concurrence, encore moins un appel d’offres pour procéder la désignation de l’organisme.
Cas. Soc. 11 février 2015 AG2R / Sté Holz et fils et a. pourvoi n° W.13-16.115 et 16, arrêt n°260 FSD
Cas. Soc. 11 février 2015 AG2R / Daniel Lefevre, pourvoir n°1214-11.409, arrêt n°254. FS-P+B
«en subordonnant la validité de la clause de désignation à une mise en concurrence préalable par les partenaires sociaux de plusieurs opérateurs économiques, la cour d’appel a violé le texte… ».
Cette solution, la Cour de Cassation la fait reposer sur l’absence de textes la justifiant, en droit interne où cela est patent mais également en droit communautaire, les articles 102 (relatif à la prohibition des positions dominantes abusives) et 106 («qui ne s’oppose pas à ce que les pouvoirs publics investissent un organisme de prévoyance du droit exclusif de gérer un régime», ceci résultant de l’arrêt AG2R de la CJUE du 3 mars 2011) du TFUE n’imposent pas aux partenaires sociaux des modalités particulières de désignation du gestionnaire d’un régime de prévoyance obligatoire.
De ces deux arrêts aux conclusions identiques, il faut tirer deux enseignements :
– le premier, nombre de branches ont mis en place des procédures d’appel formalisé à la concurrence, voire d’appel d’offres (encore plus contestable puisque cette procédure est réservée aux marchés publics) en raison de l’affirmation sans nuance de conseils extérieurs leur ayant soutenu que la validité de la désignation en dépendait, en particulier en invoquant le droit communautaire (article 56 TFUE).Les partenaires sociaux de ces branches pourraient aisément engager la responsabilité de ces experts pour défaut de conseil, notamment du fait du coût élevé qui en est résulté pour élaborer un cahier des charges et gérer l’appel à concurrence (souvent plusieurs centaines de milliers d’euros, totalement inutiles!)
– Le second, la plupart des organisations ayant signé l’accord du 11 janvier 2013 n’ont accepté le dispositif de l’article 1 relatif à la mise en œuvre d’une procédure d’appel à la concurrence que parce que le Medef, lui aussi inspiré sur ce point par la FFSA, a affirmé sans nuance qu’il s’agissait là d’une obligation impérative. Une action en annulation de ce dispositif de l’article 1erde l’ANI pourrait se concevoir en invoquant l’absence de consentement éclairé ! Cela pourrait alors justifier une demande au législateur d’abrogation du dispositif contenu dans la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi et donc du décret du 8 janvier 2015 (qui est une usine à gaz).