Présenté le 8 mars dernier par Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’emploi et aux affaires sociales, le projet de refonte de la directive relative aux travailleurs détachés a rencontré l’hostilité de 11 États membres de l’Union européenne dans la semaine du 9 mai. Évoquant le respect du principe de subsidiarité, onze parlements nationaux, en majorité des pays pourvoyeurs de travailleurs détachés, ont adressé à la Commission une procédure dite de « carton jaune » bloquant à moyen terme tout projet de refonte de la directive. Le principal point d’achoppement porte sur la rémunération des travailleurs détachés dans un pays étranger. Défendant le principe du à « travail égal/salaire égal » pour les travailleurs détachés et locaux, la Commission s’est ainsi heurtée à dix pays de l’Est en plus du Danemark. Trouvant le projet de révision trop contraignant, les Etats frondeurs obligent la commissaire belge à revoir sa copie. Celle-ci ne semble pas dans l’immédiat déterminée à relancer son projet. Une impasse politique qui laisse en suspens les nombreux problèmes liés au dumping social.
Lutter contre le dumping social sans remettre en cause la libre circulation des travailleurs : tel est le difficile numéro d’équilibriste pour la Commission Européenne dans le cadre de son Plan pour l’emploi. Si les travailleurs détachés ne représentent que 0,7% des actifs dans l’Union, leur nombre a explosé de 45% entre 2010 et 2014. Longtemps incarné par la figure-repoussoir du « plombier polonais », le travail détaché suscite des critiques en termes de concurrence déloyale dans des secteurs tels que le bâtiment, la santé ou encore l’agriculture. Ces 1,9 millions de travailleurs sont pour une bonne partie d’entre eux issus des pays de l’ancien bloc communiste. A ce jour, près de la moitié d’entre eux travaillent entre la France, l’Allemagne et la Belgique selon les estimations les plus récentes de la Commission.
Dans leur ensemble, les entreprises de protection sociale adhérentes à l’Ipse ainsi que la sécurité sociale souffrent de devoir verser des prestations dans le même temps sans être alimentées par de nouvelles cotisations.
La première directive censée poser un cadre pour le travail détaché date de 1996. Régulièrement dénoncée par les organisations syndicales et certains Etats membres pour sa faiblesse à poser un encadrement juridique strict quant à la notion de détachement, elle n’a fait jusqu’ici l’objet que de menues modifications toujours insuffisantes pour ses contempteurs.
Si un des principes fondateurs de la directive, à savoir que le travailleur détaché reste assujetti au système de cotisations sociales en vigueur dans son pays d’origine n’a pas été modifié, par la Commission, la nouvelle version de la directive prévoit pour la première fois une égalité de rémunération entre travailleurs locaux/détachés dans un même pays. Elargissant cette exigence aux entreprises de sous-traitance et de travail intérimaire, la Commission propose en outre que toute période détachement n’excède pas les vingt-quatre mois. Dans certains Etats membres, a rappelé Madame Thyssen, il est fréquent que les travailleurs détachés gagnent jusqu’à 50% moins que les locaux pour un travail identique.
Cette inertie du politique demeure préjudiciable pour toutes les entreprises de la protection sociale et solidaire. Les montages scandaleux notamment pratiqués par des entreprises intérimaires impliquant le versement de prestations sans recevoir de cotisations en contrepartie.
Emmenée par la Pologne – dont sont originaires 36% des travailleurs détachés en Europe – la fronde des États récalcitrants a été rendue possible par la procédure dite de « carton jaune ». Prévue par le traité de Lisbonne, elle permet aux parlements des États membres de bloquer tout projet de directive à la condition qu’ils représentent la moitié des voix de toutes les chambres parlementaires à l’échelle de l’Union.
Au lendemain du carton jaune, la Confédération européenne des syndicats s’est manifestée dans une lettre ouverte à la Commission pour dénoncer l’action des 11 États frondeurs. Pourtant critique à l’égard d’un texte qui a été élaboré sans la participation des partenaires sociaux, la CES appelle Mme Thyssen à défendre de nouveau la directive devant chaque État membre. La Commissaire, sommée de revoir sa copie, n’a pas été en mesure d’avancer une date pour la reprise de ses travaux. Des sources diplomatiques avancent qu’avec les nombreuses difficultés internes que rencontre actuellement l’U.E – crise des réfugiés, « BREXIT » ? – la Commission préfère temporiser.
L’Ipse invitera les partenaires sociaux à réagir contre le dumping social et ses conséquences néfastes.
Nous devrons alors soutenir les propositions des parlementaires tant pour une concurrence loyale entre entreprises que pour le maintien d’un niveau d’emploi optimisé et une protection sociale pérenne.