entretien exclusif avec François Charpentier

 

Journaliste spécialiste des questions de retraite, François Charpentier est l’auteur de nombreux ouvrages de références sur le sujet. Animateur du prochain Colloque Professionnel Ipse sur la future réforme des retraites en France, François Charpentier a accordé à l’Ipse un entretien exclusif sur le projet phare du quinquennat d’Emmanuel Macron.

 

1.  Sous l’égide de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, le gouvernement mène actuellement une grande consultation autour du futur projet de réforme qui devrait être en débat au Parlement d’ici mai 2019. Il semble toutefois acquis que les différents régimes de base existants seront fusionnés en un seul régime par points. De quand date l’idée d’instaurer un régime de retraite universel ?

L’idée d’instaurer un régime de retraites universel figurait déjà dans le programme du Conseil national de la Résistance élaboré en 1943 par les diverses fractions politiques et syndicales de la France Libre. Diverses raisons expliquent qu’à la Libération, ce régime universel n’ait pas vu le jour. Les fonctionnaires ont notamment manifesté leur opposition en défense de leur propre régime établi dès le milieu du XIXème siècle. Travailleurs indépendants, exploitants et travailleurs agricoles, ont également refusé de rejoindre ce régime universel tel qu’initialement porté par le CNR.

 

Les cadres du secteur privé ont également longtemps été réticents à rejoindre un régime où cotisent employés et salariés. Ils souhaitaient en effet conserver leurs régimes privés négociés avec le patronat en 1937. S’ils perdent cette bataille au terme d’un long bras de fer avec le gouvernement, ils conservent toutefois la possibilité de bénéficier d’un avantage spécifique en disposant de leur propre régime complémentaire avec la création de l’Agirc en 1947.

 

L’idée d’instaurer un régime universel répond à un souci d’efficacité et d’une plus grande lisibilité du système de retraites. Un système par points, inspiré par l’Agirc-Arrco ne pose pas de problèmes particuliers en termes de mise en œuvre. En France, les acteurs de la retraite complémentaire l’ont aisément démontré au cours de leur histoire.

La réforme sera toutefois réussie à la condition qu’elle puisse corriger les fortes inégalités qui peuvent exister entre retraités, en visant une meilleure répartition, sans augmenter le volume des dépenses.

 

2.  Au-delà de la grande concertation lancée au mois d’octobre sous l’égide de Jean-Paul Delevoye, le parlement devra plancher sur un projet de loi à l’horizon 2019. Sur ce sujet sensible, il pourrait rencontrer de fortes oppositions tant syndicales que politiques. Le scénario d’un passage en force est-il envisageable ?

Depuis son accession au pouvoir, Emmanuel Macron ne rencontre qu’une faible opposition sur le terrain social. Elle s’explique pour partie par l’affaiblissement des différentes centrales syndicales dans un contexte de baisse continuelle du taux de syndicalisation. Le spectre d’une large mobilisation contre son projet de réforme des retraites apparait lointain. Dans leur grande majorité, les français ne sont pas opposés à la fin des régimes spéciaux même si leur nombre est bien plus conséquent que ne l’avance le gouvernement, notamment dans la fonction publique d’état. En tenant compte des différences de traitement, notamment chez les militaires, on en arrive à plus de 400 régimes spéciaux ! Des spécificités pourraient toutefois être conservées pour les militaires dont certains régimes datent de 1853.

 

Dans l’hypothèse où le projet rencontrerait de fortes oppositions, Emmanuel Macron pourrait bien légiférer par ordonnances. En 1982, François Mitterrand avait légiféré par ordonnance pour abaisser l’âge de la retraite à 60 ans pour 37,5 années de cotisations sans que cela ne provoque de contestations

 

Les premiers contours de la réforme tels que présentés le 10 octobre par Jean-Paul Delevoye semblent plutôt faire consensus parmi les partenaires sociaux. Le gouvernement pourrait toutefois rencontrer une forte opposition en cas de remise en cause de l’âge légal de départ à la retraite, même si Jean-Paul Delevoye a rappelé l’engagement présidentiel de conserver l’âge minimum de départ à 62 ans.

 

3.  Assurance-chômage, formation… Sur de nombreux dossiers, Emmanuel Macron semble vouloir remettre en cause le paritarisme de négociation et de gestion. Est-ce que le paritarisme vous apparait menacé à court ou moyen terme?

Dans le domaine des retraites, les partenaires sociaux ont depuis longtemps montré leur sens des responsabilités et leur capacité de gestionnaire.
La remise en cause des corps intermédiaires, la volonté de reprise en main de l’Etat est une tendance qui s’observe depuis de nombreuses années, quelque soit la couleur politique du gouvernement.
Devant cette tendance, les partenaires sociaux ont tout intérêt à défendre le « paritarisme par la preuve » en faisant la démonstration de leur pleine contribution à l’intérêt général.

4. Quelles générations seront concernées par le futur projet ?

Trois scénarios à l’étude (Source AEF) :

  1.  Si le texte est voté en 2019, les personnes concernées par la future réforme devront seront celles qui seront à plus de cinq ans de l’âge retraite au moment de la ratification de la loi. Ainsi, la génération 1963 sera la première concernée par la bascule des droits. En 2025, tout le monde sera concerné par la bascule des cotisations. Des dispositions particulières seront prévues pour les régimes spéciaux de retraites qui autorisent des départs à 57 ans ; la génération 1968 sera dans ce cas précis la première concernée. C’est ce scénario qui a les faveurs de M.Jean-Paul Delevoye.
  2.  La réforme serait appliquée aux seuls entrants sur le marché du travail au moment de l’entrée en vigueur du nouveau système. Pour de nombreux observateurs, le problème est que ce scénario maintiendrait deux systèmes de retraites et deux barèmes de cotisations distincts pendant 40 ans, engendrant des problèmes de gestion et de coûts.
  3.  Un scénario intermédiaire, visant à appliquer la réforme aux personnes les plus éloignées de l’âge de la retraite – au-delà de la génération 63 – mais ayant validé des durées importantes de cotisations importantes dans le système actuel.

Enfin, concernant l’utilisation des réserves, M.Delevoye indique étudier « la façon juridique de les utiliser », estimant que celles-ci ont deux vocations : « garantir les droits du passés » et « les tuilages pour pouvoir accompagner le basculement ».