article date du 24 juin.
Fruit des travaux d’un groupe composé des principaux acteurs économiques européens, la nouvelle gouvernance économique développe ses premiers effets depuis le 1er janvier dans le cadre du Semestre européen « de coordination des politiques économiques et budgétaires ». Parallèlement, la plus importante révision des règles de l’Union économique et monétaire (UEM) s’inscrit dans le « paquet » de six propositions législatives, présentées par la Commission européenne le 29 septembre 2010. Cette réforme porte principalement sur le durcissement du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Depuis octobre 2010, le Conseil européen appelle à l’adoption rapide de ces propositions législatives, ce qui entraîne un processus de négociations peu accessible aux opinions publiques européennes. L’exigence de la conclusion d’un Pacte de compétitivité par l’Allemagne avait contribué à semer le trouble tandis que le processus d’adoption du « paquet législatif » suivait son cours en toute discrétion.
L’Union économique et monétaire est un projet élitiste « top-down », conçu à la base par des banquiers centraux réunis dès 1989 au sein du comité Delors. Poursuivant dans la même voie, la nouvelle gouvernance économique porte sur le renforcement des mécanismes de surveillance et de sanctions définis par le Pacte de stabilité et de croissance. Dans l’édifice européen, l’architecture de l’UEM est un étage distinct doté d’une institution supranationale indépendante, la Banque Centrale Européenne (BCE). La BCE est impliquée dans le processus législatif en cours d’adoption. Selon son président, il s’agit de compléter l’actuelle Fédération monétaire de l’équivalent d’une fédération budgétaire en termes de contrôle et de surveillance de l’application des politiques en matière de finance publique. (1) Le rôle de la BCE est également déterminant et déterminé dans l’imposition de mesures d’austérité comme voie unique de restauration de la confiance des marchés. Le prix Nobel d’économie Paul Krugman s’interroge non sans raison sur la « sagesse » de la BCE dans la poursuite de ces mesures aggravant la situation.
La société civile européenne organisée en faveur d’un « consensus le plus large possible »
Depuis l’adoption du traité de Maastricht en 1992 et l’organisation des premiers référendums sur les règles fondatrices de l’Union, les politologues ne cessent de dénoncer le déficit démocratique de l’Union européenne. Avec son livre blanc sur la gouvernance européenne de juillet 2001, la Commission avait tenté de doter d’une nouvelle légitimité l’action de l’Union en consultant la « société civile européenne » lors de la phase d’élaboration de ses propositions. Près de 10 ans plus tard, la Commission décide dès le mois de mai 2010 de consulter le Comité économique et social européen (CESE) sur la nouvelle gouvernance économique, une consultation certes non obligatoire. De l’avis du CESE adopté en février dernier, l’approche et le calendrier choisis par la Commission (…) « suscitent quelques perplexité. Il s’agit là de facteurs qui non seulement portent préjudice à ce que le consensus le pus large possible se dégage autour du processus lancé dans les institutions communautaires et l’opinion publique, mais qui pourraient également obscurcir l’objet même de la coordination proposée » (1). L’obscurité s’est encore accrue à la suite de la proposition d’un Pacte sur la compétitivité par l’Allemagne en février 2011.
Les innovations du Paquet législatif de la Commission européenne
Fin septembre 2010, la Commission européenne présente ses propositions. Selon le communiqué de la Commission, il s’agit du « plus important renforcement de la gouvernance économique de l’UE et de la zone euro depuis le lancement de l’union économique et monétaire ». Les propositions législatives renforcent les mécanismes de surveillance budgétaire et de sanction en y intégrant l’évolution de la dette en plus de l’évolution du déficit. Il s’agit d’une première innovation. Le durcissement du Pacte se stabilité et de croissance est complété d’une procédure permettant l’adoption de sanctions spécifiques pour les Etats membres de la zone euro. Deuxièmement, la Commission propose d’instaurer un système de surveillance des politiques macroéconomiques en ajoutant un nouveau volet au Pacte de stabilité et de croissance et la mise en place d’une procédure pour déficit macro-économique excessif pouvant conduire à l’adoption de sanctions pour les pays de la zone euro. Sur le plan institutionnel, elle propose un vote à la «majorité inversée» pour l’imposition des sanctions. En clair, une sanction sera considérée comme adoptée à moins que le Conseil ne la rejette à la majorité qualifiée. Il s’agit de l’introduction d’une « majorité qualifiée de blocage » en ce que si les Etats membres ne s’opposent pas à la proposition de la Commission en statuant à la majorité qualifiée, celle-ci est réputée adoptée. Cette procédure reviendrait à rendre quasi automatique les sanctions imposées.
Dans son avis sur la gouvernance économique adopté en février 2011, la BCE, qui n’exclut pas une révision ultérieure des traités, se disait préoccupée par le fait que les propositions de la Commission n’assuraient pas un degré d’automaticité suffisant. Mais par rapport à la situation actuelle, elle apprécie que la Commission présente au Conseil des propositions et non des recommandations mais aussi de l’introduction du « vote à la majorité inversée ». La BCE considère donc que les mécanismes conduisant aux sanctions pourraient être renforcés. Le président de la BCE avait d’ailleurs demandé aux parlementaires européens d’oeuvrer en ce sens. Et les députés européens de la commission affaires économiques et monétaires l’ont suivi le 19 avril dernier. Le 20 avril, ces mêmes députés ont décidé d’entamer les négociations sur la base de ces rapports et de débuter le jour même un premier trilogue. Cette décision a été adoptée par 26 voix contre 14, reflétant les tensions apparues au moment de l’approbation des six rapports parlementaires. Malgré l’ampleur des enjeux, ces négociations n’ont aucune visibilité. Les textes soumis à son vote sont l’aboutissement de ces trilogues. Le Parlement européen a déjà reconnu « l’absence potentielle de transparence et de légitimité démocratique » dans les « accords rapides ». Le texte relatif aux modalités de l’application de la procédure législative ordinaire n’envisage le recours à ce procédé que pour des textes techniques. La réforme du Pacte de stabilité et de croissance est pourtant un dossier politique par excellence.
Le risque de la tyrannie d’une majorité disparate
Confrontés aux limites de leur capacité d’action politique, les dirigeants européens auraient tort de se montrer insensibles à l’expression spontanée du mouvement d’indignation en Espagne, en Grèce, au Portugal, en France, en Belgique et ailleurs. Cette indignation peut être lue comme un refus de sombrer dans l’anti-européisme tout autant que comme une impérieuse expression de la nécessité de « re-politiser le politique » et d’émanciper les structures décisionnelles tant nationales qu’européennes de la tutelle des marchés et de ses acteurs économiques et financiers. Dans ces conditions, le choix de figer dans le droit quasi constitutionnel de l’Union une doctrine économique conduisant à la dépossession partielle de la définition de politiques essentielles au niveau national peut-il réalistement être pris ? Pourtant, le 23 juin, le Parlement européen a adopté les six rapports, les votes reflétant de courtes majorités. L’approbation du « paquet » en tant que tel est quant à elle reportée à la session plénière du mois de juillet 2011. L’adoption de ce paquet par une majorité du Parlement européen ne reflétant pas un large consensus serait plus que problématique. D’abord, parce qu’elle comporte le risque d’être interprété comme la tyrannie d’une majorité disparate loin de refléter un choix mûrement réfléchi, assumé et compatible avec le caléidoscope des réalités et identités politiques nationales. Ensuite, parce que le paquet législatif comporte 5 règlements. Cela signifie qu’ils seraient directement applicables dans les Etats membres. A l’avenir le non respect d’engagements pris dans le cadre du « Pacte sur l’euro » plus pourrait conduire in fine à l’adoption de sanctions financières en tout cas pour les Etats membres de la zone euro. Cette perspective en elle-même pourrait suffire à imposer des « réformes impopulaires » voulues par les marchés.
Pourquoi tant de hâte ?
Depuis le mois d’octobre 2010, le Conseil européen créée un sentiment d’urgence. Pourquoi tant de hâte ? Divisé, le Parlement européen renforce le mécanisme conduisant aux sanctions financières après sa transformation en allié le plus déterminé de la BCE. Il s’agit là d’un curieux positionnement exprimant un soutien au principe de l’avènement de la « Fédération budgétaire », évoquée par le Président de la BCE. La mutation du cadre de l’UEM en ce qui peut s’apparenter à une « fédération budgétaire coercitive » est tout sauf anodine. La centralisation proposée du pouvoir coercitif au sein de la Commission européenne en est l’élément le plus marquant. Le renforcement de ses pouvoirs par l’insertion d’un droit de proposition dont le contenu ne pourra être modifié que par une décision unanime du Conseil est potentiellement lourd de conséquence. Le Conseil ne pourra s’opposer aux sanctions de la Commission que par un vote à la majorité qualifiée. Ces procédures sont-elles compatibles avec les traités actuels ? Non élue, la Commission disposera-t-elle de la légitimité nécessaire à l’imposition de sanctions financières quasi automatique ? L’activation du critère de la dette publique en plus de celui du déficit a-t-il un sens alors que l’austérité préconisée et qui serait en quelque sorte pérennisée s’avère inefficace ?
Avant l’adoption finale du paquet législatif, ne vaudrait-il pas mieux vérifier si la mutation du cadre de l’UEM qu’il induit ne s’effectue pas en violation même des règles européennes aujourd’hui en vigueur ? On pourrait à tout le moins s’attendre à ce que la révision du pacte économique se fasse dans le respect du principe de transparence tant au niveau national qu’européen. Mieux, qu’en cas de doute, il fasse l’objet d’une authentique révision préalable des traités. La révision des traités européens et des dogmes qu’ils contiennent semble être une impérieuse nécessité. Il convient en effet de clarifier le doute fondateur quant à la nature de l’Union : aujourd’hui l’Union européenne n’est pas un Etat et encore moins un Etat fédéral, ce que recouvre le concept trompeur des « Etats-Unis d’Europe ». Si elle avait pour vocation de se transformer en une Union fédérale cela nécessiterait une profonde révision des traités. Il est indispensable de tirer les leçons de la crise financière et de re-concevoir les traités dans une perspective susceptible de réconcilier la construction européenne avec ses différentes composantes nationales et sub-nationales. L’une des difficultés de la crise financière était la question de savoir qui serait le prêteur de dernier ressort. A partir de la gestion de la crise financière et du rôle de la BCE, des propositions de réforme les plus urgentes et dessinant de nouvelles perspectives méritent d’être discutées. Il en va ainsi de la proposition de la création d’un Trésor européen capable d’émettre des eurobonds mutualisant les dettes souveraines des pays les plus endettés et libérant les peuples du poids d’en assumer seuls le fardeau et contribuant aussi à terme à une véritable réorientation à la hausse du budget européen favorisant l’investissement public. Il faut également mentionner l’initiative de députés allemands, membres de la commission des finances, qui proposent « Une Union de compensation européenne –l’Union monétaire 2.0 ». Rédigé par des députés de sensibilité écologiste et de gauche, cette proposition a le mérite de prendre également en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Ces propositions sont importantes car elles démontrent que de réelles alternatives sont possibles.
Cécile Barbier
Chargée de recherche, Observatoire social européen
Cf. aussi « Adoption du paquet législatif sur la gouvernance économique : pourquoi tant de hâte ? ».
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1 Avis du Comité économique et social européen sur la «Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions: améliorer la coordination des politiques économiques au profit de la stabilité, de la croissance et de l’emploi — des outils pour renforcer la gouvernance économique de l’UE» — COM(2010) 367 final, 469e session plénière des 16 et 17 février 2011, Rapporteur : Stefano Palmieri. http://eur-lex.europa.eu/JOHtml.do?uri=OJ:C:2011:107:SOM:FR:HTML