Tribune de Jean-Marie SPAETH
Il est important de rappeler que le régime de santé complémentaire à la Sécurité sociale a été rendu obligatoire dans un souci de réponses à un aspect idéologique d’une part, et à une donné économique et sanitaire d’autre part. Idéologique car, de tout temps, on a voulu nous faire croire que la régulation ou la diminution des dépenses de santé devait se traduire par une implication pécuniaire des assurés pour les « responsabiliser ». Selon moi, la mise en place de cette responsabilisation au niveau des professionnels de santé serait plus pertinente. Par ailleurs, c’est une erreur économique et sanitaire car le reste à charge n’a fait qu’augmenter, particulièrement pour les soins de ville, et cela n’a pas modifié le comportement des professionnels de santé.
Au final, l’instauration d’un ticket modérateur a eu un effet inverse à celui escompté, en excluant tout bonnement certaines personnes de l’accès aux soins.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’ANI du 11 janvier 2013, au terme d’un long processus de réduction de la solidarité collective qu’incarne la Sécurité sociale pour les soins courants. Cet accord est une victoire en termes d’accès aux soins dans de bonnes conditions au plus grand nombre.
Toutefois, sa mise en œuvre soulève quelques questions. En effet, les projets de décrets sont le reflet de multiples ambiguïtés, notamment en ce qui concerne la rédaction de l’accord en lui-même, qui est le résultat d’un compris non pas entre employeur et représentants syndicaux, mais avec une intervention des différentes familles d’assureurs, voulant à tort ou à raison, défendre leur territoire économique. Cette ambiguïté de l’accord n’a pas résisté à la traduction juridique nécessairement encline à donner une opérationnalité sanitaire au texte.
Aujourd’hui, que faut-il penser de ces avant-projets de décrets qui tentent d’apporter des éclaircissements ?
• « Panier minimum des garanties » : Le gouvernement projette de mettre en place un panier de biens et services qui prend en charge « l’intégralité du ticket modérateur à la charge des assurés ». Ce qui est dérangeant dans ce projet est le rôle de l’entreprise, qui se trouve dorénavant au centre de la négociation, alors même que la branche est un niveau de régulation du système de soins plus pertinent, du fait de la solidarité découlant d’une mutualisation plus importante. Un accord d’entreprise ne permet pas d’instaurer une véritable relation avec la Sécurité sociale qui, compte tenu de ses contraintes budgétaires, n’a de cesse de se décharger sur les complémentaires, tout comme les prestataires de santé qui ont tendance à se « lâcher » sur les prix, qui finalement seront pris en charge par les complémentaires santé. Actuellement, les conditions ne sont pas réunies pour avoir une gestion optimale de l’offre de soin.
• « Degré élevé de solidarité » : Personnellement, je ne sais pas ce qu’est un « degré élevé de solidarité ». Selon moi, l’addition de contrats d’entreprise au détriment des accords de branche est un élément anti-solidarité, créatrice d’inégalités. Le recours à un décret pour définir « un pourcentage de solidarité » suggère déjà quelque chose de philosophiquement malsain. Par ailleurs, les questions de prévention sanitaire ne sont pas les mêmes dans une entreprise du BTP que dans celle du secteur bancaire.
• « Procédure de mise en concurrence des organismes dans le cadre de la recommandation » : Si je n’ai pas de commentaire particulier à faire sur le contenu technique de la proposition de décret, je suis en revanche extrêmement surpris par la teneur de ce projet quant au rôle des partenaires sociaux. Ce texte apparait clairement comme une motion de défiance envers ces mêmes partenaires sociaux, qui ont maintes fois montré leur capacité de gestion de régimes via l’Arrco, l’Unédic et de multiples branches professionnelles.
Pour conclure, je souhaite attirer l’attention sur le transfert de la négociation directe au niveau de l’entreprise. Renoncer aux accords de branche en santé porte en germe un renoncement aux accords de branche dans l’ensemble des domaines de la protection sociale, qui aurait pour conséquence de rendre les partenaires sociaux illégitimes dans le processus de négociation de « Régimes » complémentaires à la Sécurité sociale dans le champ de la santé, de la prévoyance, de la retraite, etc. La bonne position est, selon moi, une position intermédiaire qui consisterait à mettre en place des accords de branche normatifs étendus.