Régulièrement critiquées par les ONG de défense de l’environnement pour leur manque d’ambition, les règlementations sur les pesticides font en outre l’objet de fortes suspicions d’interventions ou de pressions des industries pétrochimiques et agroalimentaires dans leur élaboration. Plusieurs faits récents semblent démontrer un regain d’intensité dans le lobbying mené par les industriels pour influer sur des nouvelles normes qui pourraient à terme menacer leurs intérêts.
Au niveau européen notamment, la lenteur de la Commission Européenne à proposer une directive ambitieuse sur les perturbateurs endocriniens a suscité l’accablement du Parlement et des associations écologistes. Sa décision, passée quasi inaperçue au lendemain du BREXIT, de poursuivre la commercialisation pour 18 mois du glyphosate, indique son manque de considération des études scientifiques les plus avancées sur le sujet. Pis, l’EFSA (l’agence de sécurité alimentaire européenne) avait considéré, fin 2015, comme « improbable » la dangerosité de ce pesticide. Cette décision, difficilement compréhensible, laisse planer de sérieux doutes sur d’éventuels conflits d’intérêts entre son comité scientifique et certains acteurs de l’industrie chimique.
Récemment en France, la parution reportée d’un rapport de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) initialement prévue pour la fin juin 2016 a suscité l’émoi de plusieurs ONG très impliquées dans le suivi de ce dossier. Rapport très attendu, il était consacré aux conséquences de l’exposition aux pesticides sur la santé des travailleurs agricoles. Ce report a été provoqué par les « nuances » apportées par deux scientifiques impliqués dans sa rédaction quelques jours seulement avant sa parution. D’aucuns y ont vu « la main » des industriels derrière ces contributions pour le moins inattendues. A l’image de ce qui se produit dans les instances européennes, cet épisode pose à l’ensemble des citoyens des questions légitimes en termes de transparence et de conflit d’intérêts.
Quel est le poids réel des lobbys et jusqu’à quel niveau les industriels ont-ils infiltré les instances de contrôle sanitaire ? Pour Stéphane Horel, auteure d’« Intoxication », enquête de référence sur le sujet, c’est le « manque de moyens et le déficit d’expertise interne » des instances de l’Union Européenne qui pousserait les industriels à se placer comme des interlocuteurs privilégiés dans l’élaboration des normes ou des directives. Les ONG tentent également d’occuper ce rôle mais ne jouent pas à armes égales avec des industries qui invoquent régulièrement leur poids économique pour être mieux considérée par les décideurs.
Dans le cas du rapport de l’ANSES, son directeur technique assure que les recommandations initialement prévues dans ce rapport seront bien publiées au plus tard à la rentrée prochaine. Malgré l’imbroglio provoqué par la défection des deux chercheurs « contestataires », le législateur devra forcément prendre en compte les recommandations du rapport, qui selon certaines sources proches du dossier, préconisent des restrictions quant à la mise sur le marché de certains pesticides.
Déficit démocratique, manque de transparence, disfonctionnement institutionnel… Ces nombreux problèmes impliquent des réponses fortes de la part des décideurs et une mobilisation de tous les instants de la société civile organisée. L’enjeu de la santé publique est trop important pour que priment les seules logiques économiques.