QUESTIONS À… JEAN-PIERRE BOBICHON

Jean-Pierre Bobichon est Conseiller de Jacques Delors, ancien Président de la Commission européenne de 1985 à 1995 et membre fondateur de l’institut « Notre Europe – Institut Jacques Delors » www.institutdelors.eu

 

IPSE : Quelles sont les compétences du Parlement Européen ?

Jean-Pierre BOBICHON : Le Parlement Européen a un rôle majeur dans le processus de décisions de l’Union Européenne ; il est l’une des composantes du « triangle institutionnel » de l’Union Européenne avec la Commission Européenne, qui dispose du pouvoir d’initiative, et le Conseil Européen qui, de nature intergouvernemental, a un pouvoir décisionnaire. Le Parlement vote et amende les textes proposés par la Commission. Il est compétent dans un certain nombre de domaines comme les Affaires Etrangères, l’agriculture, la pêche…
Il négocie le budget de l’Union Européenne.
L’avis du Parlement Européen est aussi pris en compte dans une cinquantaine de domaines où il n’est pas décisionnaire comme le droit à la concurrence, la fiscalité, certains aspects de la politique sociale. Il peut opposer son veto dans 16 domaines tels l’adhésion d’un nouvel État comme membre de l’Union ou la signature de traités internationaux.
Par ailleurs lorsque les citoyens de l’Union exercent leur droit de pétition ils adressent celles-ci au Président du Parlement Européen.
Les députés européens disposent donc d’un pouvoir législatif non négligeable. Ils possèdent également d’un pouvoir de contrôle : ils peuvent censurer la Commission qui doit alors présenter sa démission ou destituer un Commissaire.
Le Parlement Européen a aussi le pouvoir de présenter des recours devant la Cour de Justice de l’Union européenne en cas de litiges sur l’interprétation d’un Traité 
Enfin il convient d’indiquer – en vertu du Traité de Lisbonne (2009) – que le Président de la future Commission européenne doit être choisi en tenant compte des résultats des élections De ce fait, en participant au renouvellement du Parlement européen vous déterminez indirectement le choix politique de la future Présidence de la Commission européenne, issu du groupe politique le plus important en nombre

 

 IPSE : Quels sont les enjeux des élections du 26 mai prochain ?

J-P. B : Les enjeux de ces élections sont multiples, mais pour l’essentiel on peut les résumer à la démocratie comme priorité et à la réaffirmation des valeurs européennes.

L’enjeu primordial est donc d’abord celui de la participation à ces élections. En effet, la critique à l’égard de l’Europe, de « Bruxelles » est un jeu facile mais la participation reste notoirement insuffisante : 39,3% d’abstentions aux élections de 1979, 59,4% à celles de 2009 (taux record d’abstentions), 56,5% à celle de 2014. C’est très, très insuffisant pour légitimer réellement les représentants élus au Parlement Européen.

Ensuite, le respect de ses valeurs et de sa qualification d’Etat de droit. Ce dernier malheureusement bousculé par plusieurs pays européens comme la Hongrie et la Pologne où le principe électoral se combine avec la mise en cause de l’indépendance de la justice, par le contrôle des médias et le refus des corps intermédiaires.
À ces pays s’ajoutent ceux qui sont pénétrés par des pratiques de corruption comme la Roumanie ou Malte. De fait, si l’Union Européenne ne se résume pas à un marché unique, elle doit affirmer beaucoup plus fermement ses valeurs qui doivent être partagées et pratiquées par tous au regard des traités, y compris avec des possibles sanctions, via l’accès ou pas aux fonds structurels européens.

 

 IPSE : Certains pays remettraient en cause les valeurs européennes et n’appliqueraient donc pas les décisions prises à Bruxelles et/ou votées à Strasbourg ?

J-P. B : Absolument… Prenez par exemple la question des migrants. Certains gouvernements, principalement d’extrême droite, utilisent sans scrupule cette question pour dresser des murs au lieu de bâtir des ponts, refuser l’accès de bateaux humanitaires dans leurs ports, écarter la répartition des migrants avec comme but ultime un repli nationaliste étriqué.
N’oublions pas que ces migrants ne viennent pas de nulle part. Ils sont issus de pays en guerre et/ou de pays où il n’y a pas d’espoir d’amélioration de leur situation quotidienne.
Certes les solutions, bien que multiples, sont complexes. L’accueil (formation, logement), la solidarité entre pays membres, l’aide au développement, la recherche de méthodes puis de solutions au règlement des conflits…, tout cela ne peut se faire en un jour. Ça nécessite du temps et dans tous les cas, la voie à emprunter ne se situe, ni dans le repli ni dans l’agressivité !

 

 IPSE : A vous écouter, le sort des migrants sera donc l’un des enjeux majeurs de cette élection. Avez-vous des chiffres à nos communiquer dans ce domaine ?

J-P. B : Oui malheureusement ! Et pourtant, comme le révèle les statistiques d’Eurostat ou les données de l’OIM (l’organisme des nations unies en charge des migrations), à l’inverse de ce qu’affirment fallacieusement les extrémistes, le phénomène des migrations s’est dernièrement beaucoup ralenti : entre le 1er janvier et le 24 juin 2018 42.845 migrants sont arrivés par la Méditerranée c’est deux fois moins qu’en 2017 à la même période, ils étaient 363.504 en 2016 et plus d’un million en 2015. Si l’action de la Commission n’est pas parfaite, elle est loin d’être négligeable.
Alors, même s’il ne doit pas être considéré comme un référendum pour ou contre l’accueil des migrants, les élections pour le renouvellement du Parlement Européen vont être l’occasion d’aborder des thèmes comme les valeurs humanistes de l’Europe, les solidarités, l’Europe des citoyens…

 

IPSE : Sans parler de pronostics sur son résultat, quels espoirs à travers ce scrutin ?

J-P. B : La dimension européenne dans ce monde en pleine mutation, est un gage de paix à préserver, car jamais acquise définitivement. Paix militaire puisque pour la première fois dans l’Histoire, les Etats membres de ce qui constitue l’Union européenne  n’ont pas connu de conflit, entre eux,  depuis 75 ans !
Paix, stabilité financière et économique car pour faire face à la puissance économique redoutables des États-Unis d’Amérique ainsi qu’à celles de ceux que l’on appelle les « BRIC » (Brésil, Russie, Inde, Chine), l’Union des pays de notre vieux continent est de très loin préférable à l’isolement. Les Britanniques, qui ont choisi la voie du Brexit risquent d’ailleurs de s’en apercevoir très rapidement

Mon souhait principal est donc de voir se poursuivre la construction européenne en l’adaptant aux défis de notre nouveau monde, en y impliquant les plus de 508 millions de femmes et d’hommes membres de l’Union européenne « Unis dans la diversité »