Le regard ambivalent des français sur la protection sociale
Dans un rapport publié le 12 octobre, France Stratégie, organisme de réflexion placé auprès du Premier Ministre, dresse le tableau des divisions telles que perçues dans la société française. Ses conclusions sont le fruit d’un travail ayant rassemblé dans un cycle de douze séminaires acteurs de terrain, responsables publics et chercheurs depuis les attentats de janvier 2015. Intitulé « Ligne de faille. Une société à réunifier »,
le rapport insiste sur le fait que les Français portent un regard très sombre sur la situation de leur pays et sur leurs propres perspectives d’avenir. Pour France Stratégie, ce « pessimisme collectif prend sa source dans une crise de confiance à l’égard des institutions jugées défaillantes dans leur capacité à protéger et à rassembler. ». Emploi, revenu, mobilité sociale, situation des jeunes, le diagnostic très alarmant des citoyens sondés entre toutefois en contradiction avec de nombreux indicateurs statistiques. Sans disqualifier ce ressenti, le rapport cherche à en comprendre les raisons essentielles. Concernant leur modèle social, les Français font montre d’une certaine ambivalence. Particulièrement attachés à l’Etat-providence, ils sont toutefois nombreux à le juger partiellement défaillant, allant jusqu’à douter de son efficacité et de sa soutenabilité.
D’après l’étude de France Stratégie, les Français demeurent attachés à leur modèle social pour 77% d’entre eux. Ils sont même 90% à estimer qu’il existe un modèle spécifique à la France. L’Etat-Providence est encore perçu de façon positive pour avoir notamment permis de créer un sentiment de cohésion nationale entre les différentes classes sociales. Toutefois, les différentes réformes entreprises au cours des vingt dernières années semblent avoir perturbé sa lisibilité dans la société. La logique contributive et solidaire qui prévaut pour le versement des pensions de retraites semble ainsi difficilement appréhendée chez de nombreuses personnes sondées.
C’est bien sur la notion de solidarité que le rapport présente des conclusions pour le moins inquiétantes. Si huit français sur dix demeurent favorables à ce que la société assure un revenu minimum vital à chaque individu, ils sont 64% à juger que la solidarité engage un coût trop important pour la viabilité du modèle social. Peu disposés à augmenter leur part de cotisations pour maintenir le niveau des prestations, les Français apparaissent aussi divisés sur l’opportunité d’augmenter la part des entreprises dans le financement de la protection sociale pour préserver leur compétitivité.
Pour les rapporteurs, si la solidarité est tant questionnée dans la société, si des lignes de fractures générationnelles importantes apparaissent dans la façon dont on l’appréhende, c’est qu’il existerait un « dilemme progressiste » dans la société française. En somme, demeurer généreux envers ses concitoyens impliquerait de se reconnaitrait implicitement en eux. D’où une idée très partagée que la solidarité ne profiterait qu’aux personnes les plus défavorisées ou des populations issues de l’immigration. Ce que démentent les chiffres : le point de PIB consacré à l’ensemble des minima sociaux ne représente qu’un trentième des dépenses de protection sociale.
Dans ses conclusions, le rapport peut faire écho à un autre document publié en août par la DRESS (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, organisme rattaché au ministère des affaires sociales) sur le regard des 18-35 ans concernant la protection sociale. L’Ipse s’en était alors fait écho, notamment pour indiquer ici encore la profonde ambivalence et les injonctions contradictoires au sujet de la protection sociale dans la société française.